Lettre conjointe: APPEL À L'ACTION DU CANADA POUR ÉVITER LA COMPLICITÉ DANS LES FRAPPES AÉRIENNES ILLÉGALES DES ÉTATS-UNIS EN AMÉRIQUE LATINE ET DANS LES CARAÏBES
Cliquez ici pour une version pdf de la lettre conjointe suivante envoyée par l'Americas Policy Group (APG) et Common Frontiers le 13 novembre 2025
13 novembre 2025
À l’attention de :
L’Honorable Anita Anand, ministre des Affaires étrangères
L’Honorable Maninder Sidhu, ministre du Commerce international
L’Honorable David J. McGuinty, ministre de la Défense nationale
Chère Ministre Anand, chers Ministre Sidhu et Ministre McGuinty,
En tant qu'organisations de la société civile canadienne ayant des décennies d'expérience en coopération avec des organisations partenaires dans les Amériques, nous demandons instamment au gouvernement canadien d'utiliser tous les moyens diplomatiques à sa disposition pour condamner publiquement et demander l'arrêt des frappes aériennes des États-Unis contre des bateaux civils en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Entre septembre et le début du mois de novembre, au moins 19 bombardements contre des navires civils au large des côtes du Venezuela, de Trinité-et-Tobago, de la Colombie, de la République dominicaine et du Mexique ont été signalés et ont fait des dizaines de morts. Des organisations de défense des droits humains telles qu'Amnistie internationale et Human Rights Watch estiment que ces opérations constituent des exécutions extrajudiciaires. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains et d'autres experts de l'ONU ont également sonné l'alarme, avertissant que ces frappes aériennes violent le droit international en matière de droits humains et doivent cesser immédiatement.
Le Canada doit s'exprimer fermement et sans équivoque pour protéger l'état de droit et la sécurité dans ces régions. Nos organisations et nos partenaires sont profondément préoccupés par les conséquences du déploiement militaire accru des États-Unis en Amérique latine et par les nouveaux pouvoirs qui leur permettent d'utiliser la force létale, sans contrôle, contre des cibles que l'administration Trump a qualifiées, sans preuve, de « narco-terroristes ». Comme l'a déclaré le sous-secrétaire général des Nations unies Miroslav Jenča lors d'une réunion d'information avec les ambassadeurs au Conseil de sécurité, les opérations menées par les États-Unis ont exacerbé les tensions dangereuses dans ces régions. Il ne fait aucun doute que ces opérations constituent une menace grave et croissante pour la paix, la sécurité et l'état de droit.
Bien que le président Trump serait revenu sur ses précédentes déclarations selon lesquelles les États-Unis envisageaient des frappes à l'intérieur du Venezuela, la menace persistante d'une extension des opérations militaires menées par les États-Unis, non seulement en mer mais aussi au Venezuela, en Colombie et au Mexique, est prise très au sérieux et a été fermement condamnée dans les déclarations publiques par plusieurs chefs d'État, notamment Claudia Sheinbaum au Mexique, Luiz Inácio da Silva au Brésil et Gustavo Petro en Colombie.
Alors que l'administration Trump se montre prête à traiter les Caraïbes et l'est du Pacifique comme une zone de guerre et à faire fi du droit international, nous devons également vous interroger sur la collaboration militaire du Canada et sa complicité potentielle dans les opérations entreprises par les États-Unis. Selon le site web du gouvernement canadien, l'opération CARIBBE contribue « aux opérations renforcées de lutte contre le trafic de stupéfiants menées par les États-Unis dans la mer des Caraïbes et l'océan Pacifique oriental » avec des navires de guerre de la Marine royale canadienne et des avions de l'Aviation royale canadienne déployés pour « trouver et pister » les navires « d'intérêt » en vue de leur « interception » par les États-Unis, dans le cadre d'un protocole d'entente conclu avec les États-Unis depuis 2010.
Compte tenu des ordres actuellement mis en œuvre par le Commandement Sud des États-Unis, nous demandons au Canada de suspendre l'opération CARIBBE ainsi que son protocole d'entente avec les États-Unis afin d'éviter tout risque que les renseignements canadiens soient utilisés dans le cadre d'attaques illégales et meurtrières. Selon les médias, le Royaume-Uni a cessé de partager certains renseignements avec les États-Unis en raison de préoccupations quant à la légalité de leurs frappes militaires contre des bateaux soupçonnés de transporter de la drogue. Le Canada devrait se concentrer sur la consolidation de la paix en Amérique latine et dans les Caraïbes, et non sur le soutien aux efforts militaires des États-Unis, d'autant plus que ces opérations peuvent impliquer des violations du droit international et des droits humains.
Nous sommes profondément troublés d'apprendre que du matériel militaire de surveillance et de ciblage fabriqué au Canada ait été utilisé dans au moins deux des attaques états-uniennes, comme l'a récemment rapporté Project Ploughshares. Le Canada est légalement tenu de veiller à ce que ses exportations de matériel militaire ne contribuent pas à des violations du droit international. Or, un accord vieux de plusieurs décennies entre le Canada et les États-Unis permet le transfert de la plupart des équipements militaires entre les deux pays en contournant les contrôles à l'exportation destinés à empêcher que la technologie canadienne ne contribue à des abus. Cette faille doit être comblée.
Le Canada ne doit pas se rendre complice des actions autoritaires de l'administration Trump qui compromettent la paix et la sécurité en Amérique latine et dans les Caraïbes, érodent la protection des droits humains, favorisent un climat de peur pour justifier le recours à la force illégale et contournent l'état de droit tant au niveau national qu'international. Le gouvernement canadien devrait plutôt suivre l'exemple des chefs de gouvernement de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) qui se sont exprimés en octobre pour manifester leur « soutien sans équivoque » à la souveraineté, à l'intégrité territoriale et au maintien de la région des Caraïbes en tant que zone de paix. Cela réaffirme une déclaration historique de la Communauté des États latino-américains et caraïbes (CELAC) en 2014, qui proclamait l'Amérique latine et les Caraïbes zone de paix.
En conclusion, nous exhortons le Canada à:
● Se joindre à d'autres pays pour exprimer sa profonde inquiétude et demander l'arrêt des attaques illégales et des exécutions extrajudiciaires de civils commises par l'armée des États-Unis dans les Caraïbes et le Pacifique.
● Contribuer à la promotion de la paix et de la sécurité en Amérique latine et dans les Caraïbes, notamment en soutenant les efforts des organismes de défense des droits humains et des alliés internationaux qui demandent que l'administration Trump respecte la souveraineté nationale et fasse prévaloir l'état de droit.
● Suspendre sa participation à l'opération CARIBBE afin d'éviter le risque que le Canada se rende complice d'exécutions extrajudiciaires et de violations du droit international.
● Conformément aux obligations du Canada en vertu du Traité sur le commerce des armes, supprimer les exemptions réglementaires actuelles qui permettent des exceptions à l'exportation d'armes vers les États-Unis, sans contrôle ni évaluation des risques pour les droits humains.
Nous serions heureux de vous rencontrer pour discuter de nos préoccupations et de nos appels urgents à l'action.
Cordialement,
Kathy Price, coordonnatrice du Groupe d’Orientation Politique pour les Amériques (GOPA)
Caren Weisbart, coordonnatrice de Common Frontiers
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Le Groupe d’orientation politique pour les Amériques (GOPA) est un réseau national d'organisations de la société civile canadienne qui œuvrent pour les droits humains et la justice sociale et environnementale en Amérique latine et dans les Caraïbes. Il rassemble 22 ONGs de développement et d'aide humanitaire, des organisations de défense des droits humains, des syndicats, des groupes confessionnels et de solidarité, ainsi que des instituts de recherche.
Common Frontiers est une coalition nationale composée d'organisations syndicales, environnementales, confessionnelles et de justice sociale axées sur les Amériques. Nous amplifions les luttes des organisations et des communautés avec lesquelles nos membres entretiennent des relations de longue date dans toute la région et qui œuvrent pour la défense de la démocratie, des droits humains, des droits du travail, des services publics solides et de l'environnement.