Article d'opinion conjoint: LE CANADA EST-IL PRÊT À FERMER LES YEUX SUR DES VIOLATIONS ALARMANTES DES DROITS HUMAINS POUR FAIRE AVANCER UN ACCORD DE LIBRE-ÉCHANGE CONTROVERSÉ AVEC L'ÉQUATEUR?
Cet article d'opinion, rédigé en collaboration avec l'Alliance pour les droits humains en Équateur, a été publiée dans The Hill Times le 27 octobre 2025. Il est également disponible via NB Media Coop.
Au cours des 18 derniers mois, le gouvernement canadien a négocié un accord de libre-échange avec l'Équateur, affirmant que les deux pays partagent des valeurs importantes en matière de respect de la démocratie et des droits humains. Pourtant, au cours de cette même période, la situation des droits humains en Équateur s'est détériorée à un niveau sans précédent, dans un contexte de militarisation et de menaces pesant sur les garanties démocratiques.
Le président équatorien Daniel Noboa a déclaré en janvier 2024 un conflit armé interne contre 22 groupes criminels opérant dans le pays. Après plus d'un an et demi de militarisation, la situation de sécurité du pays s'est détériorée et le nombre de morts violentes a fortement augmenté.
Les violations des droits humains sont également à la hausse. Les signalements de torture au cours des dix-huit derniers mois de militarisation dépassent le total des quatre années précédentes combinées. En réponse aux demandes d'informations de l'Alliance pour les droits humains en Équateur, le bureau du procureur a également signalé une augmentation alarmante des exécutions extrajudiciaires et des crimes liés à l'abus de la force publique entraînant la mort. À cela s'ajoute une multiplication des disparitions forcées, condamnées, entre autres, par la Commission interaméricaine des droits de l'homme et Amnesty International, dans un rapport intitulé « C'était l'armée. Je les ai vus ».
Le Canada devrait également s'inquiéter du fait que le gouvernement équatorien ait recouru à la militarisation pour faire avancer des projets miniers canadiens. L'armée a été déployée à Palo Quemado et Las Pampas, où des campesinos (petits agriculteurs) ont dénoncé les impacts négatifs du projet La Plata, opéré par une entreprise canadienne. Des dizaines de personnes ont été blessées, certaines de façon permanente, et des dizaines d'autres ont été injustement accusées d'avoir commis des actes terroristes. L'armée a également été déployée à Las Naves contre des personnes qui cherchaient à protéger leurs terres et leur eau contre le projet El Domo-Curipamba, détenu par des intérêts canadiens. Là aussi, des dizaines de défenseurs de l'environnement ont été criminalisés sur la base d'accusations fabriquées de toutes pièces par des procureurs publics totalement dépourvus d'impartialité.
La militarisation a été protégée et justifiée par l'adoption rapide de nouvelles lois qui violent la Constitution équatorienne et portent atteinte à l'État de droit. Entre autres, une loi autorisant la militarisation permanente du pays a été adoptée. Une autre loi, qui vise supposément à renforcer les zones protégées, permet de déposséder les peuples autochtones de leurs territoires ancestraux. Une autre loi encore autorise les autorités à bloquer les comptes bancaires d’organisations de la société civile sans procédure régulière ni droit de défense. Cela a affecté d’importantes organisations de longue date qui œuvrent pour la protection des droits des peuples autochtones et de l'environnement, notamment la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur, l'Alliance Ceibo, la Fondation Pachamama et l'Union des personnes affectées par Chevron-Texaco. Parallèlement, des dirigeants sociaux et des défenseurs des droits humains sont la cible d'une surveillance rendue possible par une nouvelle loi sur le renseignement, qui supprime les contrôles en matière de surveillance.
Le Canada ne doit pas ignorer ces réalités. Il ne doit pas non plus fermer les yeux sur les attaques inquiétantes contre l'indépendance judiciaire en Équateur. En août, Noboa a mené une marche contre la Cour constitutionnelle de l'Équateur, déployé l'armée autour de ses locaux et attaqué ses juges après qu'ils aient suspendu des articles d'une loi récemment adoptée afin de se prononcer sur leur constitutionnalité.
Alors que les experts des Nations unies sonnent l'alarme, la population équatorienne descend dans la rue pour défendre ses droits et la protection de l'environnement. Des dizaines de milliers de personnes ont défilé le mois dernier pour protester contre la promotion par le gouvernement Noboa de l'exploitation minière canadienne et contre les impacts négatifs du projet Loma Larga à Azuay.
Des milliers d'autres ont défilé ce mois-ci lors d'une grève nationale organisée par la Confédération des nationalités autochtones de l'Équateur. Leur manifestation a été réprimée par l'armée. Gina Romero, rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association, s'est dite préoccupée par les violations des normes internationales commises par l'armée et la police au cours de « plusieurs semaines d'usage excessif de la force et d'arrestations illégales ». L'Alliance pour les droits humains en Équateur a documenté un bilan dévastateur de blessés, des manifestants ayant été touchés par des tirs et deux leaders communautaires autochtones ayant été tués. La répression a suscité un appel urgent en faveur de la protection des droits des peuples autochtones en Équateur de la part du Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones.
Le gouvernement canadien ne doit pas rester indifférent face à ce bain de sang et à la réalité incontestable d'une grave crise des droits humains en Équateur. Les gouvernements qui accordent véritablement de l'importance aux droits humains et à la démocratie ne concluent pas d'accords commerciaux avec des pays qui violent les garanties constitutionnelles, les obligations internationales et les normes fondamentales de l'État de droit et de la coexistence démocratique.
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À propos des auteurs:
Vivian Idrovo est avocate et coordinatrice de l'Alliance pour les droits humains en Équateur, un collectif d'organisations de défense des droits humains et de l'environnement. Kathy Price est la coordinatrice du Groupe d’orientation politique dans les Amériques, un réseau national d'organisations de la société civile canadienne œuvrant pour les droits humains, la justice sociale et la protection de l'environnement en Amérique latine.